Comment faire progresser la “représentation mentale des femmes dans le collectif” ? Une petite expérience sémantique montre comment notre cerveau est entraîné depuis l’enfance à penser d’abord au masculin (même quand on est une femme !). Et comment faire pour une meilleure inclusivité ?
“Un groupe de dix musiciens était prévu pour la Fête de la Musique mais, entre la pluie et les restrictions sanitaires, il a finalement préféré annuler”.
En lisant la phrase qui précède, quelle image vous est spontanément venue à l’esprit ? Si vous êtes un homme, vous avez très probablement visualisé un groupe quasi entièrement masculin (de l’ordre de 9 à 10 hommes).
Mais les études montrent que si vous êtes une femme, vous avez également visualisé un groupe très majoritairement masculin (dans une proportion de 7 à 8).
Pourtant, vous savez que, même si en français le masculin l’emporte sur le féminin, en théorie le groupe aurait tout aussi bien pu compter 9 femmes pour un seul homme (la seule impossibilité étant qu’il soit composé de 10 femmes, auquel cas on aurait parlé d’un groupe de “musiciennes”). À défaut de savoir précisément combien le groupe comptait d’hommes et de femmes, peut-on en donner une image plus “neutre”, moins stéréotypée ?
La réponse est “oui”, si l’on utilise des doublets, c’est-à-dire si on systématise l’usage de termes masculins et féminins accolés. Par exemple, si l’on dit “Un groupe de dix musiciens et musiciennes était prévu, mais il a préféré annuler”. Le simple fait de mentionner qu’il y avait des “musiciennes” va entraîner chez celles et ceux qu’on interroge une image mentale plus mixte. En moyenne, les hommes vont spontanément visualiser un groupe composé de 7 musiciens pour 3 musiciennes et les femmes un groupe de 6 hommes et 4 femmes.
Mieux encore, si l’on nomme le féminin avant le masculin dans un doublet (“Un groupe de dix musiciennes et musiciens était prévu, mais il a préféré annuler”), on s’approche de la parité réelle au niveau mental : en moyenne, les hommes interrogés visualisent 6 hommes et 4 femmes, et les femmes interrogées, 5 hommes et 5 femmes !
L’explication scientifique
Nous apprenons dès l’école que la règle qui veut que le masculin l’emporte sur le féminin ne se veut pas sexiste. Pas officiellement. Mais elle l’est pourtant, bien sûr : “Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin, à cause de la supériorité du mâle sur la femelle” écrivait déjà l’Académie française au 18e siècle ! Les scientifiques expliquent l’expérience citée plus haut dans l’article par le fait que notre cerveau ne peut pas spontanément concevoir comme mixte un collectif dénommé uniquement au masculin.
On l’a vu, les doublets (“musiciennes et musiciens”) sont une façon simple de faire progresser l’inclusion dans la langue. Mais d’autres actions sont possibles : on peut la “dégenrer” avec l’utilisation de “mots épicènes” (qui ne changent pas entre le masculin et le féminin : “un groupe de dix artistes”), on aussi peut systématiser la féminisation des titres et professions (qui se souvient que, jusqu’aux années 80, le terme “compositrice” était hérétique à l’oreille d’une majorité de gens) etc.
[·] et iel : respirez un grand coup !
D’autres proposent d’aller plus loin avec l’écriture dite inclusive qui implique le point médian : “Un groupe de dix musicien·ne·s”. Les études ont prouvé que dès la 3e occurrence dans un texte, le cerveau est immédiatement capable de substituer “un groupe de dix musiciennes et musiciens” quand il lit “un groupe de dix musicien·ne·s”. Si cela vous surprend, rappelez-vous que vous avez appris à lire et à comprendre sans problèmes d’autres abréviations loin d’être aussi évidentes, telles que “M. et Mme Martin”. D’autres, enfin, proposent la création d’un pronom neutre (il + elle = iel) par défaut : “iel a préféré annuler”. Là encore, si cela vous semble excessif, sachez qu’en Suède, le pronom neutre “hen” (han = il, hon = elle) n’a mis que quatre ans après sa création pour être officialisé par les autorités, les Suédois l’ayant ente temps largement adopté !
Sans nécessairement aller jusque là (et si le point médian et le pronom neutre vous hérissent), à vous de voir dès maintenant ce que votre entreprise peut faire pour progresser sur le chemin de l’inclusion. Vos collaboratrices et collaborateurs ont tout à y gagner.
> Pour en savoir + : Le cerveau pense-t-il au masculin ? Cerveau, langage et représentations sexistes, de Pascal Gygax, Sandrine Zufferey et Ute Gabriel, Le Robert 2021