Diversité et inclusion ne sont plus une option !

Comment l’entreprise est passée d’un objet social à un objectif sociétal.

Si l’entreprise a toujours été plus qu’une simple entité créatrice de richesse pour ses associés, son élargissement à des thèmes ouvertement sociétaux, tels que l’inclusion, est plus récent mais appelé à devenir structurant. Au-delà d’un aspect satisfaisant pour la morale, cette valorisation de la diversité aura des répercussions très positives sur les ressources humaines, l’efficacité opérationnelle, la culture de l’innovation… et même en termes de rentabilité ! 

Le pacte des loups

L’histoire de l’entreprise est avant tout liée à la répartition de ses profits car il est difficile d’en parler de manière plus large, le terme n’ayant par exemple aucune existence en droit. Il faut passer par le prisme des formes juridiques qu’elle peut prendre, comme la société* (à responsabilité limitée, anonyme etc.), ce qui la ramène de fait à un pacte d’associés ou d’actionnaires.

* Nous distinguons la “Société” au sens large (= ensemble des règles et des lois qui régissent notre vie en commun) de la “société” au sens étroit (= entité juridique) par l’ajout d’une majuscule

Tout autant que les historiens, les artistes ont su rendre compte de ses aspects lumineux : l’aventure humaine qui préside à la création d’un empire de la presse (Citizen Kane d’Orson Welles) ou la récompense du travail par la création de richesse (Onc’ Picsou de Walt Disney). Mais ses aspects plus sombres ont aussi fourni la matière aux romans naturalistes d’Émile Zola (Au Bonheur des Dames avec la disparition du petit commerce au profit des grands magasins) ou de Guy de Maupassant (Mont-Oriol et l’invention du tourisme thermal) qui montrent comment elle peut exacerber les inégalités et broyer les individus.

Plus récemment, c’est l’atteinte à l’environnement qui a également été stigmatisée (Erin Brockovich de Steven Soderbergh). Difficile de nier que l’entreprise existe, au regard des effets positifs et négatifs qu’elle a sur la Société.

Plus que la simple création de richesse

Heureusement, il y a toujours eu des entrepreneurs pour rendre un peu à leurs concitoyens ou, comme on le dirait aujourd’hui, pour donner à leur entreprise un “objet social élargi”, sans pour autant graver ce dernier dans le marbre. Avec les moyens de leur époque, des visionnaires mi-capitaines d’industrie mi-urbanistes ont conçu des “cités idéales” comme la Saline royale d’Arc-et-Senans (Claude-Nicolas Ledoux) au 18e siècle ou le Familistère de Guise (Jean-Baptiste André Godin) au 19e.

Des projets évidemment pensés avant tout du côté patronal mais qui se traduisaient aussi par des améliorations de l’hygiène, de la santé et de l’éducation pour les ouvriers qui y étaient employés, ainsi que pour leurs familles qui y vivaient. Plus récemment, les grands patrons américains ont souvent consacré une part de leur fortune à des œuvres caritatives et Warren Buffet, surnommé le Sage d’Omaha, a convaincu plusieurs de ses amis riches à milliards comme lui de prendre l’”engagement” (c’est le sens de « The Pledge », en anglais) de léguer au moins la moitié de leur fortune à des projets qui bénéficient à l’ensemble de la Société plutôt qu’à leurs héritiers.

En France, où priver ces derniers de leur héritage n’est pas franchement imaginable, les dirigeants du CAC 40 préfèrent  s’engager en tant que mécènes des arts ou sponsors des sports.

Quand l’entreprise se découvre une « mission »

Or, les temps changent et les bonnes actions ne sauraient rester la “danseuse” du patron alors qu’elles rejoignent des préoccupations sociétales plus vastes. 75% des grandes entreprises et 70% des PME/ETI ont déjà engagé une démarche RSE, qui peut se traduire par la distribution de denrées alimentaires en surplus à des associations, la participation d’un char de collaborateurs dans la Pride ou encore la réduction de l’empreinte écologique grâce à l’installation de fontaines à eau éco-conçues et dotées de système de micro-filtration. Mais ça, c’était hier : après tout, la notion de RSE a déjà près de 50 ans ! Aujourd’hui, de grands groupes qui ont l’esprit pionnier (Danone, Pierre Fabre, MAIF, Carrefour etc.) ou des PME dynamiques (Le Slip Français etc.) se sont transformées en “société à mission”.

Ce nouveau statut est rendu possible par la loi PACTE de 2019 qui incite les acteurs économiques à inscrire les enjeux sociaux dans leur raison d’être, selon Errol Cohen. Même sans aller jusque là, pendant la pandémie, beaucoup de collaborateurs se sont mobilisés aux côtés de leur entreprise pour participer à l’effort citoyen contre le Covid-19. Conversion de chaînes de fabrication de parfums pour produire des gels hydro-alcooliques, couture de masques en lieu et place de sacs à main maroquiniers ou détournement des imprimantes 3D au profit de la fabrication de pièces détachées pour respirateurs hospitaliers : les exemples abondent et sont trop nombreux pour ne pas y voir l’expression sincère de la fierté d’être en cohérence en interne avec ce qui se passe dans le monde environnant.

Les profils des parties prenantes se rejoignent

Si l’on ne peut exclure quelques dérives pour l’affichage – greenwashing, pinkwashing, fairwahing et autres -washing (choisissez votre cause) ! – , discutez avec des start-uppers ou avec des millénials qui viennent d’intégrer votre entreprise et vous prendrez un vrai bol d’air frais avec eux qui rêvent de changer le monde. Les cyniques diront qu’ils vont se calmer avec le temps, que leur enthousiasme sera douché par le principe de réalité. Mais de quelle réalité parlons-nous ? Après tout, à l’ère du télétravail et des interactions toujours plus grandes entre le temps pour soi et le temps social, il est logique que la perméabilité entre les valeurs des sociétés et celles de la Société aille croissant.

Cette approche est d’ailleurs confirmée par le sociologue Gérard Mermet qui mesure depuis plus de 30 ans dans Francoscopie une évolution vers moins de silos et plus d’horizontalité : “les profils des citoyens, salariés ou consommateurs, autrefois distincts, tendent à se rapprocher, et même à se confondre”. 

De la diversité tolérée à l’inclusion revendiquée

Deux valeurs sociétales sont donc particulièrement amenées à progresser en entreprise dans les années à venir : la première est la diversité, c’est-à-dire la prise de conscience de notre originalité et de celle des autres, comme autant de richesses qui nous rassemblent; la seconde est l’inclusion qui consiste à valoriser ces différences et à embrasser leur complémentarité au sein du monde du travail, dans au moins 4 domaines.

Aligner les valeurs de l’entreprise sur celles de la société

Comme le note l’ex emblématique patron de Disney Bob Iger, « le succès d’une entreprise est corrélé au fait que ses collaborateurs reflètent en interne la même diversité que ses clients et que le reste du monde ». De plus, le marché auquel les sociétés s’adressent est global ou tend à le devenir : or, les entreprises présentes dans plusieurs pays ont tendance à s’aligner sur le référentiel le plus exigeant et, du coup, élèvent leur niveau de responsabilité sociétale global (ne serait ce que pour répondre aux attentes et favoriser la mobilité de leurs collaborateurs). L’inclusion, qui est une réponse aux fractures de la Société dans son ensemble, fait partie de ces valeurs qui ont vocation à être “globalisées”.

Motiver les collaborateurs et attirer des profils originaux

Dans les entreprises inclusives, les collaborateurs n’ont plus à se couler dans le moule pour respecter la tyrannie de la norme ou à cacher ce qui fait leur singularité, de la difficulté à arriver le matin du fait de chronorythmes particuliers à l’extrême timidité qui empêche certains de prendre la parole en réunion… Il est extrêmement motivant de se dire que, non seulement l’employeur accepte son originalité, mais qu’il la valorise, qu’il en fait un élément de richesse.

AccorHotels a ainsi mis en place un “shadow comex”, de collaborateurs de moins de 35 ans et aux profils bien plus divers que son comité exécutif, dont il constitue en quelque sorte un organe “miroir”, chargé de secouer ce dernier en proposant des pistes radicalement disruptives. L’inclusion est également une valeur différentiante pour trouver de nouveaux talents. Les responsables du recrutement sont conscients que de plus en plus de jeunes cerveaux fuient l’entreprise traditionnelle dont la boussole s’est déréglée au profit exclusif des actionnaires. Les millénials, pour lesquels la rémunération n’est qu’une donnée parmi d’autres, plébiscitent un nouveau système qui respecte leurs différences et les engage sur la voie d’une futur partagé. 

Un levier de performance mesurable

On savait depuis longtemps que les femmes, en politique comme en entreprise, accèdent plus facilement au pouvoir suprême en temps de crise, quand les vieux schémas masculins habituels ont montré leurs limites, mais la bonne nouvelle, c’est que ça marche et que leurs résultats sont alors à la hauteur de l’enjeu. Une étude HBR conclut en citant Ilham Kadri, la DG de Solvay : “Si les femmes n’ont pas l’apanage du leadership inclusif, elles en sont les premières prescriptrices. Diriger, c’est donner du sens. Les patrons dépourvus d’intelligence émotionnelle vont disparaître”.

Le temps est venu de gérer l’action sociale de l’entreprise, non comme une charge mais comme un investissement ! Et un investissement qui se mesure : selon une étude CECP, aux USA, les entreprises qui ont augmenté de 10% ou plus leur investissement sociétal entre 2013 et 2015 ont vu leur croissance progresser de 8,3% en moyenne… alors que la moyenne pour l’ensemble des autres entreprises a été une décroissance de 2,3% ! Aux entreprises de mettre en place les instruments de mesure adaptés à leur référentiel, les indicateurs clés et les moyens de piloter ces derniers. Au-delà d’un impératif d’éthique et de justice sociale, la diversité et l’inclusion ont donc des effets positifs prouvés sur l’efficacité opérationnelle et la rentabilité : l’inclusion, c’est bon pour le business !

Condition sine qua non de l’innovation

“Innover ou mourir” aimait à répéter le patron de Microsoft, Bill Gates, célèbre “décrocheur” (comme son meilleur ennemi Steve Jobs) qui a quitté Harvard peu après y être entré, incapable de voir son mode de pensée différent reconnu par l’institution. Or, l’innovation demande du temps long, incompatible avec les objectifs de rentabilité à court terme imposés par les pactes d’actionnaires, comme souligné dans le rapport Nota-Senard. Surtout, elle exige de faire sauter les rigidités organisationnelles (les silos) et de penser différemment : comment innover si l’on est tous semblables, comment disrupter si on passe son temps à penser comme ses pairs ?

Dans son Agenda 2030, l’ONU le recommande : ‘la priorité est de mieux faire concorder l’innovation et les besoins (sociaux et environnementaux) des individus ». Henry Ford racontait que s’il avait demandé à “(ses) clients ce qu’ils voulaient, ils (lui) auraient commandé des chevaux qui courent plus vite” et il n’aurait jamais inventé la première automobile moderne, la Ford T ! Thomas Edison appelait cela “penser de côté”. N’est-ce pas la définition même de l’intelligence inclusive ?

Conclusion

Comme rappelé dans cet article, l’entreprise a longtemps été tournée principalement vers le profit de ses associés. Elle n’était pas par nature étrangère au bien public, mais son discours sur la question n’était que le fait de dirigeants visionnaires. Alors que les valeurs sociétales ont connu une mutation profonde, elle ne peut plus, désormais, se désintéresser du sujet.

Nous avons montré que la prise en compte de la diversité (la reconnaissance de nos différences) et de l’inclusion (leur valorisation) présente, certes, des défis, mais aussi et surtout, des opportunités, en motivant des collaborateurs désormais reconnus dans leur singularité – ce qui se traduit par des gains de productivité et une meilleure performance – et en attirant des profils originaux, gage d’innovation et de réinvention, donc d’inscription dans le temps long. L’entreprise du 21e siècle sera inclusive ou ne sera pas ! 

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