Sur son blog, Philippe Silberzahn rappelle qu’au début du 19e siècle, Ignace Semmelweis avait compris que la surmortalité des femmes parturientes était due à la mauvaise hygiène des obstétriciens qui les accouchaient. Rien qu’en se lavant les mains avant les accouchements, il divisa le taux de mortalité des mères par vingt ! On pourrait penser que cette seule statistique aurait suffi à convaincre le monde médical. Or, il n’en fut rien et Semmelweis eut beau l’écrire, le crier, insulter ses confrères (!), il ne convainquit personne et mourut dans un asile d’aliénés. Il faudra longtemps pour que le lavage des mains devienne une procédure standard. C’est dur de changer des siècles de mauvaises habitudes…
Dans mon livre « Storytelling – Réenchantez votre communication » (nouvelle édition ici), j’ai raconté comment, confronté à un dilemme similaire, Antoine Parmentier avait agi très différemment. On connaissait la pomme de terre depuis l’âge des Grandes Découvertes mais les paysans français préféraient continuer à mourir de faim plutôt que de donner ce « tubercule du diable » à d’autres qu’à leurs cochons. L’agronome choisit d’offrir une fleur de pommes de terre au roi Louis XVI et à la reine Marie-Antoinette qui la portèrent à la boutonnière, la rendant instantanément plus « fashion ». On sait aussi qu’il fit planter des champs de patates près de Versailles et qu’il les faisait ostensiblement garder le jour par des soldats. Pendant la nuit, les paysans venaient voler (en toute tranquillité !) ces légumes qui devaient avoir tellement de valeur pour être ainsi surveillés… et se mirent à les cuisiner pour eux-mêmes. C’en était fini des grandes périodes de famine en France !
Il ne sert à rien d’innover si on ne fait pas l’effort de rendre l’innovation accessible. Et dans ce domaine comme tant d’autres, la raison compte moins que l’émotion. Comme le dit Silberzahn : « Lorsque [on demande à des dirigeants] de faire un diagnostic sur ce qui bloque l’innovation dans leur organisation, toutes les réponses concernent les autres, jamais eux-mêmes : les gens sont résistants au changement, ils ont peur de l’échec, on n’a pas assez de budget, on manque de méthode, la direction ne nous donne pas de vision, etc. […] Le premier ennemi de l’innovation, c’est très souvent l’innovateur avec sa posture de conquérant. Une posture d’amour est beaucoup plus efficace ».