Les succès passés n’augurent pas de ceux de demain. Au contraire, ils peuvent rendre paresseux et empêcher de voir ce qui change autour de nous. Le storytelling ou la raison d’être permettent de dépasser les biais qui nous empêchent d’être disruptifs et nous conduisent même à être “disruptés” par d’autres !
C’est un ingénieur de Kodak qui a inventé le premier appareil photo numérique… en 1975 ! Mais son employeur ne le commercialisa jamais, effrayé à l’idée de disrupter le marché de la pellicule qu’il dominait depuis près d’un siècle. Le directeur marketing de la filiale française nous affirma un jour (dans les années 90 !) avec gourmandise : “À part le trafic de drogue, je ne pense pas qu’il y ait un secteur avec de telles marges !”. Bien sûr, Kodak a depuis fait faillite et tente désormais de se réinventer dans la douleur sur le marché de l’impression et des produits chimiques… Nous avons amplement traité ce cas d’école ailleurs.
Dans une chronique pour la Harvard Business Review, Quentin Mermet (Columbus Consulting) relie Kodak à Accor, symboles de ces géants tombés de leur piédestal. Accor était si concentré sur sa vision foncière, à vendre ses murs pour n’en garder les chambres qu’en gestion, qu’il n’a pas vu venir la concurrence de booking.com ou TripAdvisor. Encore n’avait-il pas, comme Kodak, l’alternative sous ses yeux…
Vers l’abîme en chantant…
Confronté à une situation nouvelle, notre cerveau cherche d’abord une solution basée sur une expérience passée. Deux ou trois souvenirs similaires peuvent suffire à bâtir un “pattern” (un modèle). À chaque fois qu’un problème proche se pose par la suite, ce pattern se renforce… et devient donc de plus en plus difficile à déconstruire. Nous évacuons toute pensée alternative pour nous concentrer sur les représentations les plus établies (effet de fixation).
Et comme nous préférons – un peu par paresse il faut bien l’avouer – prendre nos décisions à partir des informations immédiatement à notre disposition, en écartant celles qui demanderaient un nouvel effort de réflexion (heuristique de disponibilité), ces deux biais nous enferment de plus en plus dans des schémas maintes fois répétés.
C’est ce qui est arrivé à Kodak et à Accor. Les deux entreprises se sont placées de leur point de vue (protéger leur rente), jamais de celui de leurs clients (prendre des photos numériques ou trouver un hébergement via une plateforme, c’est plus pratique, plus rapide et moins cher). N’oubliez jamais que vos clients n’en ont rien à faire de votre métier historique !
Le storytelling pour garder le contrôle de son récit d’entreprise
Pour garder le cap tout en voguant sur une mer inconnue, Mermet suggère de formaliser la “raison d’être” de l’entreprise, ce qui est un autre nom que nous utilisons pour le storytelling. Le storytelling, c’est l’histoire que l’entreprise veut raconter, veut qu’on raconte d’elle, une posture bien plus pérenne que les produits et services qu’elle propose.
Le #STORYTELLING (ou communication narrative) consiste à utiliser le pouvoir émotionnel du récit pour capter et conserver l’attention de sa cible mais aussi pour garder sa boussole interne.
DiCogitandi
Ainsi, le tort de Kodak a été de se prendre pour un fabricant de pellicules alors que c’était un “fabricant de souvenirs” (cette histoire s’incarnant à un instant T dans le “produit pellicule”). De la même façon, Accor n’était pas un gestionnaire de chambres d’hôtels mais un hôte permettant à ses invités de vivre une expérience immersive dans un tiers lieu (cette histoire passant à un instant T dans le fait de les accueillir dans des chambres d’hôtels)..
Dans ce monde idéal du storytelling, Kodak aurait donc pu inventer Instagram et Accor Airbnb et assurer à leurs produits historiques une transition plus en douceur. Mais ça, c’est une autre histoire…
> Pour aller plus loin : Storytelling – Le guide pratique pour raconter efficacement votre marque (Dunod, 2e édition 2018)